Les investissements étrangers sous surveillance

Les investissements étrangers sous surveillance

En 2023, à l’issue d’une négociation politique complexe, la Belgique a introduit son mécanisme de filtrage des investissements étrangers. Objectif : protéger les secteurs stratégiques et les infrastructures critiques de potentielles influences étrangères qui pourraient menacer la sécurité nationale et l’ordre public.

Ce dispositif s’inscrit dans le cadre législatif européen, plus large, en matière de contrôle des investissements directs étrangers (IDE), un sujet de plus en plus critique à l’heure où la mondialisation questionne et s’accompagne de risques géopolitiques inédits.

Le cadre réglementaire européen : une recommandation appuyée

La création du mécanisme de filtrage belge découle de la mise en œuvre du règlement 2019/452 de mars 2019, qui établit un cadre pour le filtrage des IDE dans l’UE. Ce règlement cadre les échanges d’information entre les États membres et encourage (sans contraindre) la mise en place de systèmes nationaux de filtrage des investissements susceptibles d’affecter la sécurité ou l’ordre public de l’Union. Les critères incluent, entre autres, les effets potentiels sur les infrastructures critiques (énergie, transport, eau, santé, communications), les technologies clés et les matières premières essentielles.

Le mécanisme belge de filtrage, reflet de la complexité institutionnelle du pays

Pour la Belgique, et en particulier pour la Région wallonne, ce mécanisme présente des enjeux significatifs. La Wallonie, avec son tissu industriel dense et ses pôles technologiques, est une cible potentielle pour les investissements étrangers «inamicaux». Le mécanisme belge de filtrage doit donc concilier la préservation de la fluidité des flux de capitaux, éléments de compétitivité majeurs de notre pays, et la maitrise des risques notamment en termes de transfert de technologies sensibles, de contrôle sur des infrastructures critiques, ou d’influence excessive sur des secteurs stratégiques. L’équilibre entre ouverture aux capitaux étrangers et protection de la souveraineté économique est donc crucial.

Pour les entreprises wallonnes, le mécanisme de filtrage représente aujourd’hui une double réalité : d’une part, une protection accrue contre des prises de contrôle potentiellement hostiles, et d’autre part, un processus supplémentaire à gérer lorsqu’elles recherchent des financements étrangers.

Concrètement

Il est donc aujourd’hui attendu des entreprises wallonnes impliquées dans une dynamique de rachat ou de prise de participation par un investisseur non européen, d’intégrer les obligations imposées par le processus de filtrage. Cette procédure, relativement complexe, est détaillée sur le site du SPF Économie, et cet article ne pourrait avoir pour ambition d’être exhaustif.

En résumé donc :

  1. Préambule : Il est à noter que les investissements dits « Greenfield » (non liés à une prise de participation dans une entreprise existante) ne sont pas concernés par ce mécanisme, actuellement du moins. Par ailleurs, le mécanisme de filtrage est régi par un accord de coopération complexe, impliquant les différents niveaux de pouvoir en fonction des circonstances.
  2. La notification : Lorsqu’un investisseur non européen projette d’acquérir une participation substantielle dans une entreprise belge, opérant dans un des domaines visés, il doit notifier l’intention d’investissement aux autorités compétentes. En Belgique, cette autorité est le Comité de filtrage des investissements étrangers (CFIE). La notification peut se faire directement en ligne via une application web dédiée. Il existe cependant un certain flou dans la définition des domaines d’activité visés. Par exemple, les «technologies de pointe» doivent faire l’objet d’une notification, mais ce terme n’est pas précisément défini étant donné la complexité d’un tel exercice. Il est donc recommandé, dans tous les cas de figure, de prendre contact avec le SPF Économie en amont du projet d’investissement pour échanger sur l’opportunité d’entamer une procédure de notification (selon l’adage «mieux vaut prévenir, que guérir»).
  3. Examen préliminaire : Le CFIE effectue un examen préliminaire pour déterminer si l’investissement pourrait affecter la sécurité nationale ou l’ordre public. Ce processus inclut la consultation des agences de sécurité et des ministères concernés.
  4. Évaluation approfondie : Si le CFIE identifie des risques, une évaluation approfondie est menée. Cela peut inclure des échanges d’informations avec d’autres États membres de l’UE, comme prévu par le règlement.
  5. Décision : À l’issue de l’évaluation, le CFIE peut approuver, conditionner, ou interdire l’investissement. Les décisions sont basées sur des critères clairs définis par la loi belge et les directives européennes.
  6. Recours : Les investisseurs et les entreprises concernées ont la possibilité de faire appel des décisions du CFIE devant les juridictions compétentes.

Et demain ?

Le mécanisme de filtrage est encore jeune, et il convient de souligner l’approche pragmatique et collaborative des autorités pour assurer sa bonne évolution et adaptation aux réalités de notre pays et de ses entreprises. À cet égard, le dialogue avec le monde patronal est actuellement de qualité, et doit être poursuivi.

Les enjeux restent malgré tout majeurs, car le dispositif constitue une pièce critique de l’attractivité générale de la Belgique, il convient donc d’assurer sa fluidité et sa lisibilité pour les investisseurs. D’autant plus que la traduction en droit belge des prochaines initiatives européennes dans ce domaine, comme le filtrage des investissements sortants, devrait s’appuyer sur ce mécanisme.

Categories: International

A propos de l'auteur

Jean-Christophe DEHALU

Senior Advisor Économie | R&D | International